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Yun-ho avait passé la majeure partie de la journée devant son écran d'ordinateur à écrire son nouveau roman. Il était assez content de lui car il avait bien avancé et il décida de s'octroyer une pause bien méritée. Encore assis sur son fauteuil, il étira ses bras au-dessus de sa tête pour décontracter les muscles endoloris de ses épaules tout en laissant échapper un long soupir. Puis il se leva d'un bond, attrapa sa veste en cuir noir au passage et sortit de son appartement d'un pas décidé.
 


La nuit était déjà tombée depuis longtemps et son estomac criait famine. Il se dirigea donc rapidement vers le 7/Eleven du quartier où il avait ses habitudes pour s'acheter un petit encas. Après avoir salué chaleureusement l'employée qui, il faut bien le dire, lui faisait les yeux doux à chaque fois qu'il venait dans la boutique, il se dirigea vers le quartier de Gangnam d'un pas énergique. La vie est belle, se dit-il, profitons-en...
 


Kim Sae-ra courait dans la ruelle sombre. Elle venait de vivre un véritable enfer et n'avait qu'une envie : disparaître, s'éloigner le plus possible de son tortionnaire, celui qui venait de ruiner sa vie. Ce qui s'était passé dans le club était au-delà de toute imagination. Qu'un homme puisse se croire tout puissant au point de la forcer à avoir des relations sexuelles comme si elle n'était qu'un vulgaire morceau de viande sans volonté, elle n'aurait jamais cru cela possible. Et pourtant, c'était ce qui venait d'arriver quelques minutes plus tôt. Elle avait besoin d'argent, c'était un fait, mais pas au prix de sa dignité. Elle lui avait dit non. Il lui avait fait croire qu'il comprenait, mais ce n'était qu'un leurre. Pensant l'avoir éconduit, elle avait baissé sa garde... Il l'avait conduite à l'écart et contrainte de force. Plus que l'acte en lui-même, plus que la douleur endurée, elle ressentait un dégoût, une humiliation sans borne. Elle ne savait pas où elle allait, mais peu lui importait. Courir était son seul but, mettre le plus de distance avec son agresseur était la seule chose qu'elle voulait. Et puis, elle souhaitait aussi oublier. Au bout de la ruelle, elle déboucha sur une avenue qui traversait le quartier de Gangnam. À cette heure tardive, les voitures étaient rares. Dans sa course folle, les yeux embués de larmes, la jeune femme ne vit le van noir qui fondait sur elle.


Dégustant sa glace avec délice en flânant sur le trottoir, Yun-ho fut soudain surpris par l'avertisseur sonore d'une grosse voiture noire qui roulait à vive allure sur la chaussée. Il se retourna vivement et en une fraction de seconde, analysa la situation et se précipita, laissant tomber ce qu'il avait dans les mains pour piquer un sprint vers la jeune femme qui courait au milieu du boulevard ignorant la voiture qui lui fonçait dessus.


Ce ne fut qu'au dernier moment, aveuglée par les phares, que Sae-ra se rendit compte qu'elle était en plein milieu de la rue et que la voiture allait sûrement mettre fin à son calvaire. Presque avec soulagement, elle réalisa que son souhait de tout oublier allait sans doute se réaliser. Elle ferma les yeux et attendit la délivrance avec résignation quand juste avant l'impact, elle fut soulevée du sol et sans vraiment savoir comment se retrouva à rouler par terre dans les bras d'un inconnu.

 


Yun-ho fit de son mieux pour protéger la jeune femme durant la chute, lui évitant un rude choc avec le sol en faisant écran avec son corps. Il en fut quitte pour s'écorcher la hanche et l'épaule et grimaça de douleur.
 


Quand ils s'immobilisèrent enfin au sol, il y eu un moment de flottement durant lequel, les deux survivants reprirent leur souffle et leur esprit, puis leur regard se croisèrent enfin. Le jeune homme alors, toujours sous les effets de l'adrénaline, rata un battement de cœur. La jeune femme qu'il tenait encore de ses bras était d'une beauté sans pareil, un ange descendu du ciel. Il en tomba instantanément et irrémédiablement amoureux.
 

 


Quatre mois plus tard.


Yun-ho estimait qu'il avait été assez patient. L'amour vous change un homme, mais pas toujours dans le meilleur sens. Depuis plusieurs mois, en amoureux transi, il avait fait sa cours à Sae-ra. Cette dernière s'étant gentiment laissée faire, sans jamais le repousser, il était sûr qu'elle l'aimait en retour, mais elle restait toujours un peu sauvage et surtout n'exprimait jamais ses sentiments, ce qui avait le don de mettre le jeune homme dans un état de frustration douloureux.

 


Au bout du compte, il avait décidé de faire sa demande, tentant le tout pour le tout.
Ils avaient dîné tous les deux dans un somptueux restaurant à l'extérieur de la ville sur les hauteurs surplombant la capitale. L'écrivain avait cherché en vain le bon moment durant le repas pour se déclarer mais il n'avait pas osé sauter le pas de peur d'effrayer la jeune femme.
Ce ne fut qu'une fois installés dans la voiture qu'il prit son courage à deux mains et se lança. Se tournant presque timidement vers l'amour de sa vie dans l'habitacle rassurant et intime de sa berline coréenne, il la fixa avec intensité, le cœur battant la chamade. Elle était la plus belle et la plus douce à ses yeux, un trésor qu'il souhaitait choyer toute sa vie. Mais il ne comprenait pas la réserve de sa compagne. Elle semblait pourtant bien apprécier sa compagnie, elle riait à ses facéties, passait des heures avec lui à discuter quand il était en manque d'inspiration pour son travail, elle partageait tant de choses avec lui. Mais elle avait aussi une part d'ombre qu'il n'arrivait pas à cerner et ça le rendait malheureux. Il espérait qu'en faisant enfin sa demande, il accéderait à cette partie cachée et la ferait disparaître.

 


Sae-ra interrogea le jeune homme du regard. A cet instant, elle lut tellement d'amour dans ses beaux yeux, qu'elle fut saisie de panique. Ils se fréquentaient depuis plusieurs mois et elle se sentait merveilleusement bien avec cet homme à la fois rassurant et presque enfantin dont il était impossible de ne pas apprécier la gentillesse. Il lui avait apporté la paix. Elle était amoureuse, elle le savait depuis déjà un bon bout de temps, mais à chaque fois qu'elle envisageait une vie heureuse avec Yun-ho, une peur irrépressible prenait possession de son esprit. Le traumatisme qu'elle avait subi quelques mois plutôt était toujours présent en elle et se résumait en une muraille impossible à franchir. Elle savait qu'elle avait mis la patience du jeune homme à rude épreuve, ne lui accordant jamais de moments intimes au-delà d'un simple baiser. Son blocage psychologique la rendait incapable de se laisser aller à plus. Elle n'acceptait qu'à contre cœur le contact de ses bras car elle voulait lui faire plaisir. Elle n'avait jamais pu non plus lui avouer ses sentiments de vive voix. Elle savait bien qu'un jour, elle devrait partir car elle se sentait coupable de le faire souffrir ainsi, mais jusqu'à présent elle n'en avait pas eu le courage. Elle avait bien pensé lui expliquer un jour mais avait eu tellement peur qu'il la prenne en pitié ou qu'il ne la rejette, dégoûté, qu'elle n'avait jamais osé.
 


«Sae-ra j'ai quelque chose à te demander...», commença-t-il plein d'appréhension. En même temps, il tira de la poche de sa veste, d'une main tremblante, une petite boite satinée. Il l'ouvrit non sans difficulté, maladroitement et présenta la magnifique bague qu'il avait choisi quelques jour plus tôt.


La jeune femme resta pétrifiée alors que ses pires craintes se réalisaient. Des larmes commencèrent à couler silencieusement sur ses joues. À leur vue, le sourire timide de l'écrivain disparu et son regard se durcit impitoyablement.


«Yun-ho, je...
– Inutile d'en dire plus, j'ai compris. Je ne suis pas si bête que j'en ai l'air, la coupa-t-il brusquement.
– Attends, ce n'est pas ce que tu crois...
– Ah bon ? Et qu'est-ce que je crois à ton avis ? Nous nous fréquentons depuis assez longtemps pour que je me rende compte que tu n'éprouves rien d'autre que de la pitié pour moi. Je suis l'homme qui t'a sauvé la vie et donc tu penses que tu me dois un peu d'attention en compensation ! Et moi, aveugle comme je suis, j'espère encore que tu veuilles de moi !»

 


Sae-ra commença à avoir peur, elle n'avait jamais vu le jeune homme avec autant de colère en lui. Il l'effrayait littéralement.
Voyant qu'elle ne réagissait toujours pas, le cœur écrasé par la douleur, il continua :


«Tu ne m'as jamais confié une seule fois tes sentiments à mon égard ! Je ne sais même pas si j'ai une place dans ton cœur ! Vas-tu te décider à me répondre ? Si tu ne le fais pas, je te quitterai...»

 


Devant son air menaçant, la jeune femme complètement perdue et terrorisée à l'idée de perdre le seul homme qu'elle ait aimé dans sa vie, actionna la poignée de la portière et s'échappa en courant devant le regard incrédule de son compagnon.
 


Que s'était-il passé ? Comment en étaient-ils arrivés là ? Pourquoi s'était-elle enfuie ? Des larmes d'amertume et de colère commencèrent à rouler sur les joues de l'écrivain. Fou de rage, Yun-ho abattit ses poings sur le volant. Des sanglots s'échappèrent de sa gorge. Impulsivement, il mit le contact et démarra brutalement. Il fallait qu'il parte le plus loin possible, qu'il s'éloigne de celle qui lui faisait vivre un enfer. Les roues crissèrent sur l'asphalte alors que la pluie commençait à tomber.
 


Non loin de là, une silhouette blanche observait la voiture partir en trombe, le bras tendu vers elle comme essayant de la retenir. Sur son visage blafard, de grosses larmes se mélangeaient aux gouttes de pluie.
 

 


Trois jours plus tard.

Sae-ra se tenait debout dans la pièce, le regard vide, les lèvres tremblantes. En face d'elle, Yun-ho l'air triste, se retenait de la prendre dans ses bras, de peur qu'elle ne s'échappe à nouveau. Ces derniers jours avaient été un calvaire pour le jeune homme. Il avait tourné et retourné la situation dans sa tête mais ne savait toujours pas quoi faire. Il voulait savoir mais n'osait pas demander de peur que ne se reproduise ce qu'il s'était passé quelques jours plus tôt. Il hésitait. Il se sentait coupable des mots durs qu'il avait eus à l'encontre de sa compagne.
«Sae-ra, je suis désolé. Je n'aurais pas dû te parler comme ça l'autre jour. Je t'aime et je ne veux que ton bonheur. Pardonne-moi, je t'en prie. Ne me laisse pas partir. Je ne pourrai pas vivre sans toi.»

 


À ses mots, la jeune femme s'approcha légèrement de lui, les yeux humides. Elle esquissa un léger geste, levant la main, mais cette dernière retomba aussi tôt le long de son corps comme si toute force l'avait quittée.
 


« Pourquoi ?
– Depuis le jour où je t'ai sauvé la vie, je ne peux plus me passer de toi. Tu es devenue mon inspiration, ma joie et ma raison de vivre. Je ne veux pas te perdre, mais comprends-moi. Je veux simplement que tu me retiennes et que tu me dises que tu m'aimes. Est-ce trop te demander ?
– Pourquoi m'as-tu quittée ainsi et laissée seule ?
– Excuse-moi mon amour, j'ai réagi sous le coup de la colère. J'étais complètement perdu. Je ne savais plus quoi te dire. Alors je me suis enfui comme toi tu l'avais fait juste avant.
– Je suis désolée, tellement navrée. Tout ça c'est de ma faute, sanglota Sae-ra. Si j'avais su trouver les mots, si j'avais eu assez confiance en toi, rien de cela ne se serait produit et tu serais resté avec moi... n'est-ce pas ?
– Évidemment idiote ! Si tu m'avais tout expliqué, j'aurais su t'écouter, te comprendre... Je sais bien que je ne suis pas toujours très sérieux mais je t'aime tellement, j'aurais pu t'aider et nous aurions trouvé une solution.
– Je m'en veux tellement, continua-t-elle sanglotant de plus belle, ses mains cachant maintenant son visage. Pardonne-moi. Je ne voulais pas que tu partes... tu me manques tellement.
– Mais je suis là maintenant, dis-moi que tu m'aimes, dis-moi de ne pas partir et je resterai... pour toujours, même si tu n'es pas encore prête à m'expliquer tes raisons. Je suis sérieux.

 


Les yeux remplis d'espoir, Yun-ho vit la femme de sa vie, baisser ses mains et relever la tête, essayant de ravaler ses larmes. Maladroitement, elle avança lentement vers lui, se mordillant la lèvre inférieure. Un second pas l'amena encore plus proche de lui et il ouvrit ses bras pour l'enlacer tendrement comme il avait l'habitude de le faire si souvent par le passé pour la réconforter. Mais au moment où elle arriva à sa portée, il ne put la saisir. Elle avait disparu ! Pris de panique, il se retourna brusquement et le monde explosa autour de lui.
À ses pieds, Sae-ra, assise au sol, se martelait le cœur de sa main droite en signe de douleur et de culpabilité. Devant elle, se trouvait un autel, sur lequel était posé un pot d'encens devant un mur floral. Sur ce dernier, était posé le portait d'un Yun-ho souriant placé dans un cadre orné de ruban noir.
 

 


Trois jours plus tôt


La voiture descendait la pente à vive allure, les yeux pleins de larmes, Yun-ho voyait à peine la route glissante. Toutes ses pensées étant tournées vers l'immense déception qu'il venait de subir. Cependant, virage après virage, il commença à reprendre petit à petit ses esprits et réalisa ce qu'il venait de faire. Il freina brusquement avec l'intention de faire demi-tour et d'aller retrouver celle qu'il venait de blesser et abandonner, mais le destin en décida autrement. Parce que la route était gorgée d'eau, les pneus perdirent leur adhérence et le jeune homme ne put plus contrôler la trajectoire de son véhicule. Comme au ralenti, il vit le bord de la falaise se rapprocher inexorablement sans pouvoir réagir. Quelques secondes plus tard, la voiture plongeait dans le vide, anéantissant les espoirs de deux vies.

 

 

 

 

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